« Depuis que je suis enfant je l’entends m’appeler. Pas comme Georg appelle les passeurs de lave, mais plutôt comme Leiff est dans notre cœur de golygydd. A chaque fois que je me tourne vers ses montagnes jumelles, je ne peux que ressentir l’immensité de leur puissance, de leurs secrets.
Ma première rencontre avec son corps fut lors de mon rite. Alors que d’autres avaient besoins qu’on les surveille, je partais déjà sur les pierres instables, tentant de monter le plus haut possible, vers un sommet encore jamais atteint par les miens. Je pouvais voir quelques chevreuil se nourrir, plus haut encore. Une fois de plus je ne pouvais m’empêcher, je sautais, comme le jeune fou que j’étais. Et voilà ma première leçon qui arrivait : ne jamais se croire tout puissant. Sous mes pieds se déroba une partie du sol. Je tombai, roulai, chutai, frappai, pendant de longues secondes ou minutes, peut-être des heures.
Je me réveillai dans une cavité, une faible lueur où pulsait une chaleur doucereuse, un vrombissement me faisait mal aux tympans. Je pouvais entendre des raclements sur le sol. Malgré ma chute je repris instantanément mes esprits lorsque j’aperçu une série d’ombres trapues. Je regardai alors autour de moi, et finit par découvrir l’origine du vrombissement : une rivière souterraine ; je m’y jetai. Je nageai, j’heurtai, m’agrippai, je sombrai…
Lorsque l’éclaireur chargé de ma protection me réveilla, je trouvai dans ma main ce bout de rocher, qui me suit partout désormais, accroché à mon cou tant que je n’ai pas trouvé d’où il vient.
La montagne possède ses secrets, mais elle ne les protège pas comme une louve jalouse. Elle nous teste. Elle nous éprouve. Elle attend qu’on se montre digne d’elle, et parfois elle nous laisse entrevoir une partie de la vérité… Juste assez pour ferrer nos coeur. Et là, c’est trop tard. Elle nous suit, même dans les plaines, notre coeur vibre de retourner à son ombre. Dans nos rêves, elle nous domine, et elle s’offre à nos esprits comme un tremplin vers les yeux, dans notre couche elle nous hante comme une amante que l’on ne pourra jamais dompter.
Voilà pourquoi je suis un éclaireur ! Maintenant allons dans la tente c’est un froid à faire crier les morts ! »