Cela fait maintenant bien longtemps que je n’ai pu remonter à cheval, et pourtant cela ne me manque guère.
Cela fait bien longtemps que je n’ai pu entendre les paroles des plentyns, et pourtant cela ne me manque pas.
Cela fait bien longtemps que je n’ai pu boire et manger comme je le désire, et pourtant j’en suis heureuse.
Cela fait maintenant presque dix ans que je suis l’esclave de Bron Gull, le Maître de la matière, responsable de la construction des statues en fer pur. Bien entendu lorsqu’on m’emmena à lui la première fois, il n’était alors qu’un forgeron, et même s’il fit de moi son esclave de plaisir, je pu avec grande satisfaction suivre son évolution auprès du culte des dieux, Zael et Miemeth.
J’avais une place enviable parmi les esclaves et pourtant je puis vous assurer que la vie avec Bron n’était pas de tout repos car il aimait autant taper sur son enclume avec son marteau, que sur ses esclaves avec ses poings. Une nuit où il me laissa pour morte, le visage façonné en un amas informe, il se mit à la fenêtre et contempla la plaine bouillonnante. Toutes les nuits, à la lueur des étoiles, un scintillement apparaissait au milieu de la plaine. Cette nuit-là le scintillement se fit éclat, cet éclat se fit rayon et vint frapper mon visage. Bron sut alors quel serait le visage de la représentation de Miemeth. C’est depuis ce jour-là que je crois en eux, les dieux que l’on m’avait fait renier depuis ma plus tendre enfance. Eux qui soignèrent mon visage pour le rendre d’avantage splendide, eux qui permirent à Bron de me remarquer parmi toutes celles qu’il façonnait.
Aujourd’hui je suis heureuse, mon visage sera présent pour des millénaires.
Et même si Bron n’arrive désormais plus à transcender la matière, il en est une qu’il n’a plus touché depuis longtemps : le fer pur protégeant depuis cette nuit-là mon visage et servant à la fois de protection et de malédiction à mon être.