Le pays de Valcourbe est l’un des plus agréables qu’il m’ait été donné de visiter. Je me trouvais en Taleseaux, après quelques semaines à observer les us et coutumes dans leurs bains. Là-bas, un marchand qui livrait de l’aphrodisiaque auprès de l’intendante m’a expliqué rentrer dans son pays d’origine en suivant le fleuve. L’occasion était belle de découvrir de nouvelles contrées, surtout à présent que je savais d’où venait cette drogue providentielle qui libérait si bien les corps et les mœurs à Talesaux, il aurait été presque criminel de ne pas en savoir plus sur l’origine d’une telle chose.
L’homme était très avenant, et en une poignée de main, l’affaire était conclue. La vie en bateau est très douce, surtout quand on descend un fleuve, et ainsi j’ai eu tout à loisir d’observer comment les gens vivaient et ainsi compléter mes chroniques. Ce qui, initialement, était un détail troublant chez le marchand s’avéra être une quasi généralité chez les gens de Valcourbe. Leurs yeux sont jaunes. Cela va du jaune vif à une légère coloration qui teinte vaguement leurs pupilles. Seul un ancien esclave venant de Tombelhiver semble être épargné par cet étrange phénomène.
Poussé par la curiosité, j’ai interrogé mes camarades de bord. Il semblerait, d’après leurs dires, que cette étrange modification ne serait pas un trait de race, comme je l’ai d’abord pensé, mais plutôt l’effet d’une certaine épice, l’épimin. Leurs propos sont étranges, énigmatiques, et à voir le sourire qui traverse leur visage quand ils m’en parlent, ils ne sont pas prêts de m’expliquer la chose en détail. Qu’à cela ne tienne, j’ai appris à observer et deviner.
La vie dans leurs contrées semble très douce. Il y a énormément de villages disparates où pousse partout leur épice si précieuse. La vie semble être organisée autour des plantations et de la récolte. Petite ombre au tableau, nous avons rencontré une plantation saccagée et mise à sac récemment. Après avoir discuté avec le chef de famille encore en vie, il semblerait que ses soupçons se portent sur un concurrent jaloux de son succès, ou des brigands ne supportant pas le sevrage. A présent, une armée d’ouvriers aux corps dignes de faire pâlir d’envie les meilleurs athlètes de Taleseaux travaillent à la reconstruction et la sécurité des champs. Leurs yeux sont d’un jaune vif, presque incandescent.
Toutefois, je suis à présent persuadé que c’est une drogue. Plus les yeux sont jaunes, plus la consommation est rapprochée et importante. Je m’en suis rendu compte en récupérant une note de frais du marchand. Ses yeux ressemblent à deux pièces d’or, les pupilles sont presque cachées par la couleur de ses iris. La note de sa consommation personnelle est faramineuse, et j’aperçois chez lui quelques tics, des tremblements ou des difficultés d’élocution quand il est en retard sur sa nouvelle prise. Malgré tout, il est loin d’avoir le gabarit des ouvriers agricoles, et pour ce que j’en vois, il n’a pas… l’enthousiasme que les catins de Talesaux qui consomment de l’épimin démontrent.
Je pense que mon séjour à Valcourbe va s’éterniser. Les récoltes étant terminées, il semblerait que les gens d’ici s’apprêtent à entrer dans une longue période de fêtes et de réjouissances. C’est là l’occasion pour moi de percer le mystère de cette drogue si merveilleuse. Et à défaut de comprendre, de réussir à m’en procurer et la goûter.