Après mes incursions en Tombelhiver, mes pas m’ont porté vers les grandes steppes au nord, bien plus au nord. J’entendais des rumeurs sur des rassemblements de plusieurs haras, de grandes hardes de chevaux étaient en train de se constituer. J’étais très curieux de découvrir ces peuples nomades, d’autant plus qu’il n’y avait aucun échange entre les gens d’Erheness et ceux vivant au nord de ces contrées. Sans doute parce que leurs seuls rapports depuis quelques siècles sont basés sur des escarmouches et quelques regards en chiens de faïence.
Au vu de la réputation que les hommes de ces terres leur ont taillé, j’avais un peu peur de ne pouvoir revenir avec la totalité de mon intégrité physique, mais depuis le temps que je foule ces terres, j’avais bon espoir que mes capacités à me mêler aux hommes sauraient me tirer du mauvais pas dans lequel je risquais de me fourrer.
C’était il y a vingt ans à compter de ce jour. J’ai erré un bon moment durant, perdu dans les grandes herbes qui m’arrivaient aux genoux, dans la plaine, déserte de la moindre présence humaine. Par chance, je portais un chèche de Ventedru, bleu vif, et ma personne était visible de très loin. C’est ainsi que les monteurs m’ont trouvé. C’était un groupe très restreint, de huit personnes au grand maximum. Leur méfiance était palpable, rien qu’à leur façon de tenir leurs rennes en approchant de moi.
Après quelques échanges, je parvins à les convaincre de ma bonne foi, mais le fait qu’une fois mon chèche enlevé mon visage soit celui d’un rorkal y était pour beaucoup. J’intégrai alors leur petit groupe pour quelques temps. La vie parmi le peuple des chevaux est très simple, assez semblable à celle des chariotteurs par beaucoup d’aspects. Il est presque amusant de se dire que ce sont également les deux peuples qui se sont le plus battus de l’histoire de ce contivent. Il y a beaucoup de choses qu’ils ont tenu à cacher. Ils sont très méfiants sur leur culture et leurs savoirs. Cependant, de bonne grâce, ils m’ont expliqué qu’ils se rendaient à un grand rassemblement, assez exceptionnel au vu de leurs habitudes. Il fallut deux semaines à mon groupe pour rejoindre l’ensemble du clan dont ma troupe faisait partie, puis une semaine de plus pour arriver au grand rassemblement. Celui-ci s’organisait sur les terres de chasses de la Cyntaf, dans Gaer Ectalis. Ses membres, attentifs et méfiants, s’assuraient qu’aucun débordement malencontreux ne se produirait tout le temps de cet évènement. En effet, le peuple des chevaux a la réputation parmi les sédentaires du sud d’être belliqueux, mais ce n’est pas infondé. Même entre eux, ils se battaient beaucoup.
Le rassemblement s’est fait avec nombre de festivités. Certains dansaient autour du feu, d’autres organisaient des jeux d’adresse aussi dangereux que futiles, beaucoup riaient, mais j’en voyais d’autres qui, moroses, fixaient les flammes du grand feu, et dont le fil des pensées semblait rythmé par les battements des tambours tribaux qui emplissaient l’air d’un pouls inhumain et puissant. Des chamans chantaient, des initiés tremblaient, puis s’effondraient, les yeux vides, le corps vidé de leur esprit, parfois pendant des jours avant qu’ils ne reviennent et ne racontent des histoires et des rêves hallucinants. J’ai été trempé dans un véritable fleuve de pensées, de cris, de mots, de combats rituels, de courses, jusqu’au point culminant, au bout de sept jours. Alors que toute la semaine avait été bruyante, animée, voilà qu’un silence de mort s’était abattu. Toute l’assemblée se sépara alors en deux, laissant passer un enfant portant une peau de céléron sur les épaules. Il était petit, chétif, mais ses yeux brillaient d’une volonté inhumaine. Je ne savais qui il était, mais pourtant, je me sentis ployer sous mon poids et poser le genou en terre.
Derrière lui, je voyais les chefs de clan marcher. Il monta sur une estrade, visible de tous, et parla. Immédiatement, mon sang s’enflamma.