Mes pas m’ont porté vers les terres humides.
Sorcières, monstres et créatures sanguinaires semblent y pulluler, et j’y vois là un intérêt certain pour ma tâche.
Le cœur battant et l’œil vif, c’est donc ici que je suis arrivé, en une étouffante journée d’été. L’air était irrespirable, étouffant. C’est la première fois que j’ai la sensation de me noyer dans l’air, et le guide qui m’accompagne me précise que je ne suis pas le premier à lui faire cette remarque.
C’est la cinquième journée que j’erre dans le marais depuis que mon guide s’est fait happer par une… créature des marais. Je n’arrive pas à distinguer tel arbre d’un autre, la mousse les recouvre pratiquement tous. J’ai tellement peur de tomber sur ce qu’il appelle une sorcière.
Pourtant cela n’a pas été le cas. Elle en avait simplement l’apparence. Petite, rabougrie, la main droite raide et inutilisable, elle m’a adressé un sourire édenté et m’a guidé vers sa cabane pour rompre le pain.
L’intérieur, douillet et confortable, était en complète opposition avec l’aspect décrépi et sale de sa masure. Elle me mena au coin du feu où brûlaient des briques de tourbe. Avec un sourire énigmatique, elle me tendit une fiole où flottaient de mystérieuses nuées argentées. Curieux, je les portai à mes lèvres… Mais cela ne se buvait pas. C’était une de ces essences qui se respirent.
Un tambour se met à battre doucement, semblant venir du dehors comme du dedans. La voix de mon hôte résonne partout dans la pièce, dans mon crâne. Elle s’infiltre en moi, et j’y entends la symphonie du monde. A côté de moi, apparaît une jeune fille à la beauté surprenante. Un visage se superpose au sien, couvrant ses traits juvéniles et colorés par ceux d’une femme ridée au regard austère. Les deux femmes me rendent un sourire, l’un frais et coloré comme le printemps, l’autre sec et froid comme l’hiver. Mon regard retourne sur la tourbe brûlante, devenant incandescente. Chaque flamme est une note, toutes semblent se marier avec la musique de la vieille femme…
Petit à petit, je tente de concentrer mon regard sur la jeune fille. Elle n’a plus deux, mais trois visages. La jeune fille, la vieille femme, et un … mort et sec, le masque parcheminé d’un être dont on n’a pas l’impression que l’âme ait quitté le corps, dont l’enveloppe a été conservée et traitée pour le reste des temps.
Les trois femmes s’expriment par une seule voix, lointaine mais sans violence. Et plus les mots s’insinuent en moi, plus je me sens quitter mon corps. Et mes yeux se ferment.
A leur ouverture, je marche par-dessus l’eau. Quelle étrange sensation, de se sentir chancelant sans pour autant tomber ! Lentement, le doigt de la femme-morte se tend, il me montre sa terre. Une bulle se crève à la surface de l’eau, une petite créature ailée en sort et joue avec les volutes de gaz. Là-bas, plus loin, un étrange animal se tenant sur ses jambes arrières tente de dérober la proie d’un crapaud-buffle de sa patte crochue à trois doigts. Puis un grand bruit se fait, et quand je tourne la tête, je vois une femme étrange, vêtue de noir, blanche comme un linceul. Elle me fixe en retour, ses six bras décrivant des arabesques argentées pointant dans ma direction. Ses mots sont murmures, et ils dansent autour de moi avant d’être engloutis par le silence.
Trois jours plus tard, j’ouvre enfin les yeux, une fraicheur agréable sur le front. A présent que je quitte les terres humides et me rend vers les pics enneigés, je reste persuadé que j’ai vu bien plus que le simple voyageur des marais que j’espérais déjà être.